Nous sommes en 1942, c'est l'année où je suis en classe de seconde. C'est l'année où les "humanités" sont au programme. Les études sont plus dures mais plus intéressantes.
Un matin, je suis appelé au Rectorat, avec Xavier L.
Le père Recteur nous annonce d’emblée que nous sommes désignés pour créer une troupe scoute dans un quartier miséreux et délaissé de la ville, situé face à l’Hôtel Dieu de France.
"Nous vous fournirons toutes les facilités nécessaires pour réussir. Vous pourrez compter sur nous pour la logistique. Nous insistons que vous arriviez à un résultat."
Le lendemain, jeudi, avec Xavier, nous faisons la connaissance du quartier, et remarquons un laisser aller incroyable. Nous voyons des garçons âgés entre dix et douze ans, en train de se battre, sous un nuage de poussière, dans une grande cour intérieure, sans aucune surveillance.
Xavier me fait remarquer que nous aurons du mal à les intégrer dans une structure telle que le scoutisme.
Nous nous présentons chez le curé du quartier qui tout étonné, accepte notre proposition de nous occuper (bénévolement ) de ces enfants.
Je lui dis que nous aurons besoin d’une salle pour nos réunions. Il est d’accord.
Xavier me quitte et me donne rendez-vous pour jeudi, et il me conseille d’apporter un ballon.
Deux jours plus tard, le samedi, à 22:00, Xavier vient me voir à la maison, (nous n’avions pas de téléphone)et m’informe que le lendemain a lieu l'évacuation de tous les français pro Pétain. Un bateau est mis à leur disposition, et la grande majorité des citoyens français va quitter le Liban.
"Tu es responsable de la création de la troupe scoute, je compte sur toi, jusqu’à notre retour, c’est certain. Je resterai en contact avec toi."
Le jeudi après-midi, comme convenu, j’ai débuté mon nouveau job en jouant au ballon avec deux gamins. Une semaine plus tard, nous étions une quinzaine, et pour finir quatre mois plus tard, avec vingt-cinq garçons, ayant déjà fait leur promesse scout.
Je demandais du renfort aux autres scouts des Pères Jésuites. Seul, j'étais débordé. Cela commençait à prendre des dimensions auxquelles je ne m'attendais pas. Tous les parents du quartier tenaient à ce que leur fils fasse partie de la Troupe scoute St. Ephrem, 6ème Beyrouth.
C’était captivant. Il y avait une sérieuse sélection. Les garçons étaient enchantés, les parents heureux de voir leurs enfants enfin devenus raisonnables, et ayant le sentiment de dépasser les autres garçons de leur âge. C’était un challenge pour passer les épreuves, et c’était le début d’une grande Aventure.
Un an plus tard, j’avais quatre patrouilles de huit ou neuf garçons formés par les chefs (de patrouille) prêts à endosser leur responsabilité envers leurs scouts.
Mon rêve était de faire un camp. Je réunis mon État Major: l’Aumônier, l’Assistant et les quatre CP pour décider du lieu du camp. Notre choix se porte sur Chbénié, à trois km de Bhamdoun. Il s'agit d'un grand village. ( Je l'avais choisi car il était près d'un hôpital en cas de problème )
Une semaine avant le camp, nous nous rendons sur les lieux, et je demande aux CP de choisir le meilleur endroit pour dresser leur tente. Je vais me présenter au propriétaire du terrain, pour l’informer de notre projet, et lui demander l'autorisation d'utiliser son bassin d'eau potable. Il nous donne son accord.
Au retour, je demande à voir le Père Recteur, et je lui soumets l'idée de faire un camp à Pâques. Le camp est une étape obligatoire dans la vie d'une troupe scoute. Il m’arrête et me dit de lui présenter une liste détaillée de mes besoins: "Je veux que ta troupe fonctionne. me dit-il. Notre intendant sera à ta disposition"
Ma liste était assez conséquente. Je voulais non seulement habiller mes quarante scouts en pantalon noir, chemise beige, foulard, béret etc., mais je voulais aussi acheter tout le matériel nécessaire, tel que les tentes et autres accessoires
J’ai tout obtenu, sans exception. Et de surcroît, une enveloppe d’argent pour les frais de nourriture sur une durée de douze jours. Même le prix du car pour nous amener au camp, était compris.
J’ai fait assurer les garçons auprès de la Compagnie d’Assurance des Pères Jésuites, pour parer à toute éventualité.
Le jour J, nous rejoignons le camp, tous heureux et chantant des chansons scoutes.
Le soir, fatigués après le dîner préparé par Jean, un routier venu m’aider, tout le camp dormait au bout de dix minutes. Le lendemain matin, nous faisons tous des exercices physiques inspirés de "l’Hébertisme", sous la direction de Jacques, (notre trésorier), un autre routier, et pour couronner le tout, un bon plongeon.
Dans l'après-midi, je vois arriver un jeune frère du couvent des Frères, situé à trois kilomètres de notre camp. Il m’annonce qu’une dizaine de bacheliers campent en ce moment dans le jardin du couvent pendant une semaine. Il me demande alors si je veux bien leur rendre visite tard dans la nuit, lorsqu’ils seront endormis. J’ai tout de suite compris le but de cette invitation, et répondu que ce soir nous serions à 20:00 dans leur jardin.
"Merci beaucoup, chef Sérop, vous êtes un chic type, je laisserai la porte du jardin ouverte."
Le soir même, à 20:00, avec une dizaine de grands scouts, nous sommes devant la tente des bacheliers dans le jardin des Frères. Nous les entendons ronfler. A mon signal, en silence, la main levée, mes scouts entourent la tente, et en retirent tous les rivets La tente tombe alors sur les chers bacheliers endormis.
Il s'ensuit une scène inouïe, avec un brouhaha, des cris, des insultes. Ils sortent leurs têtes en criant le nom du jeune frère, le salaud, il va voir etc…
Nous faisons connaissance, et un de mes scouts leur offre des bonbons pour nous faire pardonner.
Le lendemain, à 20:00, nous sommes envahis par les chers amis bacheliers, qui nous imitent. A partir de ce moment, notre amitié est scellée. Pour mes scouts c’était une belle expérience d’un Jeu de Nuit.
Pendant huit ans, je me suis occupé de quarante garçons, jusqu’à mon mariage. J’étais très étonné du résultat. L'un d'eux est entré au noviciat à Jérusalem, un autre, Albert, a été nommé directeur responsable de la Compagnie Aérienne Cathay Pacific dans le sud-est Asiatique.
J. est devenu sous-directeur d’une banque.
A., est devenu avocat: c’est celui là même qui m’avait accompagné pendant la grande traversée du Liban, de Jezzine à Ehden (blog #13 ). De temps en temps, je les revois, et nous nous embrassons chaudement.
Quand je passe dans le quartier complètement rénové, je me souviens de ces huit années, héroïques que j’ai consacrées à la jeunesse Syriaque. Je me souviens aussi de ces enfants qui allaient nu pieds, livrés à eux-mêmes, et qui sont devenus des hommes, grâce à la perspicacité ( secrète ) des Pères Jésuites.
Une fois marié en 1950, j’ai eu la joie, d’être le CP de ma patrouille composée de Jocelyne, Alain et Laurent.
Dans le dernier paragraphe , il est fait reference a Albert , Directeur chez Cathay Pacific. L'histoire d'Albert nous est raconte au chapitre 18 " Un jeune scout qui veut faire gestion et economie"
ReplyDeleteSometîmes we touch people’s lives and hearts and don’t see the impact we’ve had until many years later…you did a beautiful thing Amo Serop ❤️
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