Un journaliste Anglais, correspondant de la revue Newsweek, venait souvent à la librairie, non pour lire le Daily Mail, mais pour faire du chatting.
Très correct, il se mettait de côté pour ne pas déranger les clients, mais moi, il me dérangeait beaucoup, car je profitais des rares moments creux pour faire les comptes de la Librairie.
J’étais fasciné par ce qu’il me racontait.
J’avais l’impression qu’il voulait oublier le cauchemar de la guerre qu'il avait supporté pendant six mois.
Il m’a appris, qu'à la fin de la guerre du Vietnam, la direction de Newsweek l’avait chargé de couvrir les événements au Liban.
Il était installé près du couvent des Sœurs de la Charité, à Ashrafieh, non loin de la librairie.
Il venait souvent les après-midis, et me débitait des histoires de la guerre vécue dans la jungle du Vietnam.
Je l’écoutais attentivement.
Nous sommes devenus des amis inséparables au fil du temps.
"En général, racontait-il, la patrouille était composée de 10 hommes. Elle revenait rarement avec le même nombre de soldats qu’au départ.
Souvent il manquait un ou même deux soldats, sachant qu'ils étaient tués par des tirs inconnus qu'on n'arrivait jamais à localiser.
Le plus gros problème était de ramener ces corps au camp.
C’était pour nous un devoir sacré auquel nous tenions, malgré les difficultés qui étaient insurmontables.
A vrai dire, j’étais moi même étonné de vivre ces moments de bravoure
C’était comme une partie de cache-cache sans fin, une sorte de suicide collectif.
Si nous tardions à rentrer, la situation devenait plus dangereuse. Nous devions passer la nuit dans la jungle.
Une jungle sans horizon, noire, hostile, où nous faisions attention en marchant sur les sentiers, à cause des mines. Sans parler des animaux sauvages qui nous attaquaient.
Oui, nous étions bien armés, mais nous évitions de tirer sur les animaux à cause du bruit qui pouvait alerter l’ennemi.
C’était un combat à armes blanches. On essayait de se libérer pour ne pas attirer l’attention de l’ennemi Viet Minh.
Pour dormir, nous devions nous coucher en groupe en formant une étoile.
Toutes nos bottes se touchaient, ainsi la fuite était plus rapide en cas d’attaque ennemie.
Dans ces conditions de vie incroyable, "my dear friend", il nous était impossible de ne pas nous droguer.
Moi qui étais contre la drogue, j’étais tombé dedans.
Nous étions tous devenus des accros du hachich.
Dans des conditions pareilles, pour maintenir notre moral.
Il nous était impossible de ne pas être entraînés dans ce mal.
Une bouteille de whisky était le plus beau cadeau que nous pouvions recevoir de l'étranger.
Ici, à Beyrouth, je n’ai pu me faire d‘amis.
En venant chez vous, j’ai compris dès le premier jour, que je pouvais me confier à vous.
J’essaie de me contrôler pour m’éloigner de ce mal qui me poursuit sans relâche, parce que vous, vous pouvez comprendre le bourbier dans lequel je suis enlisé.
Vous avez de la chance cher ami, de ne pas connaître ce problème."
Il nous est arrivé parfois d’aller au petit restaurant en face pour manger des falafels.
Chaque fois, il me parlait, avec amour de son village en Ecosse, où sa petite amie, institutrice dans l’école maternelle, l’attendait. Ses parents étaient en vie, il avait un frère, avocat.
Un beau jour, il a disparu.
J’étais étonné qu’il ne m’ait pas prévenu de son absence.
Une après midi, deux semaines plus tard, je reçois un coup de fil à la librairie
Il s'agit d'une religieuse de l’hôpital des Sœurs de Charité qui m’informe, avoir été priée de me contacter par un anglais très malade, qui demandait à me rencontrer absolument.
J’étais seul, ni Evelyne ni l’employée n’étaient présentes.
Il m’était donc impossible de quitter la librairie.
Je réponds à la sœur, qu’il m’est difficile de m’absenter maintenant, mais que j'irai le voir dès le lendemain.
Le lendemain matin, je me présente à l’hôpital à la première heure. Je suis reçu par la sœur qui m’avait appelé la veille.
Elle me regarde, émue. Je comprends immédiatement qu’il y a eu un malheur.
C’est triste, me dit-elle, c'était un vrai gentleman. Il nous a quittés cette nuit. Il vous a attendu, il a espéré vous voir car il n’avait aucun autre ami à qui se confier.
Il me parlait souvent de vous. Il a été hospitalisé pendant deux semaines.
Vous étiez le seul en qui il pouvait avoir confiance me disait-il.
Je lui ai demandé si je pouvais les aider.
"Non merci, me répond-elle, l'ambassade britannique a été prévenue, et des responsables vont bientôt arriver."
Je voulais savoir quelle maladie l'avait emporté.
Elle me répond:
"Ne vous étonnez pas, Monsieur Delifer, il était tombé dans la drogue, d’ailleurs il s’attendait à cette fin.
Il faut que je vous avoue que ne vous voyant pas arriver, il m’a demandé à voir un prêtre."
J’ai quitté l’hôpital et je suis allé marcher dans le jardin public d’Achrafieh.
J’étais dans un état second. Je n’arrivais pas à réaliser ce qui s'était produit.
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