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63. Le client Russe de la librairie Embassy

La première année de l’ouverture de la libraire en 1964, un client étranger d’un certain âge, entre à la Librairie Embassy

En voyant son allure en l'écoutant s'exprimer, on en déduisait qu'il devait être incontestablement de nationalité russe. Depuis ce jour, Nicolas est devenu un client régulier.

Le plus curieux c'est qu'il était uniquement intéressé par les romans policiers.

Immanquablement chaque semaine, il se présentait avec un

"bonjour monsieur ou madame", choisissait un nouveau roman policier, remerciait très poliment et nous quittait.

Un dimanche il entra, très bien habillé, toujours avec le même cérémonial. Il arborait une décoration sur le revers de sa veste. 

Je lui demandai ce qu'elle représentait.

Avant de me répondre, il s’assit sur l'unique chaise face à moi, et se mit  à me raconter sa vie avec émotion.

"M. Delifer, je suis un russe blanc. Pendant la guerre, j’ai fui le régime soviétique et je me suis engagé dans l'armée adverse russe en Crimée. Un jour, nous devions recevoir un ministre Anglais. J'avais été désigné pour porter le drapeau de mon régiment. Il s'agissait des restes d‘un régiment réduit à sa plus simple expression.

En souvenir de cette journée, des médailles ont été distribuées à tous les soldats par le ministre Anglais des Affaires étrangères en personne.

Plus tard, devant l’avancée de la Wehrmacht, j’ai pris la fuite en traversant la Turquie et je suis venu me réfugier au Liban où j'ai épousé une jeune libanaise.

Quelques années plus tard, ma femme a perdu l'usage de ses deux yeux à la suite d' une grave maladie,

Nous habitons tout près d'ici, au rez-de-jardin d'un immeuble. J’ai installé une corde longeant le mur du jardin, afin de faciliter les déplacements de ma femme.

Je lui fais la lecture des livres achetés chez vous. Elle s’intéresse surtout aux romans policiers.

Je travaillais au cadastre libanais. Maintenant je suis à la retraite. Permettez-moi de prendre un livre, et de vous le rapporter après l'avoir lu. Je vous paierai le prix de la location. 

Auriez vous une bibliothèque de prêt afin de m'y inscrire?

Je prends grand soin des livres.

Serait-ce envisageable?"

Je lui réponds: 

Mon cher ami, prenez le livre qui vous intéresse, lisez-le avec attention, et rendez-le moi après l'avoir lu.

Je vous fais cadeau de la lecture.

Très discret, il était ému.

Nous sommes devenus des amis.

Des années plus tard, Evelyne et moi sommes exilés en France à cause de la guerre. Nous sommes accueillis chez Georges Kasparian et son épouse Annick à Tourrettes-sur-Loup, un charmant petit village dans l'arrière pays Niçois.

Une après midi, profitant d'un congé, Alain vient nous voir, et nous propose de nous rendre chez un ami libanais qui habite à Vence, dans les environs. 

Une fois installés dans son petit jardin, cet ami s’adresse à moi: 

"J’attendais, une occasion pour vous dire, cher ami, toute mon admiration envers vous et la façon dont vous avez agi en gentleman avec le mari russe de ma tante aveugle".

Mercredi prochain... La visite à la grand-mère d'Evelyne dans son village

Comments

  1. Cher Serop -
    Comment ne pourrait-on pas être intéressé et (souvent) amusé par vos souvenirs?!

    Celui d'aujourd'hui est tout simplement extraordinaire: Quelle élégance, quelle politesse, quelle confiance émane de ce rappel de régler le port de votre carte postale!

    Portez-vous bien et continuez à partager vos anecdotes avec nous!

    On pense à vous. Amitiés, Heinz avec Brigitte.

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  2. This comment has been removed by the author.

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  3. Cher Daddy,
    Histoire complétement dingue ! Et des histoires comme ça vous en avez vécu des tonnes !
    Des hasards improbables, des coïncidences miraculeuses...Votre histoire en est jalonnée...
    De mon côté, ce genre de choses inopinées m'arrivent moins souvent :)
    Je me rappel si bien de la librairie où je passais mes journée enfant, lorgnant sur les jeux de société et les jouets beaucoup trop haut pour moi...
    Je rêvais toujours du moment où vous alliez me prendre pour manger une glace chez le Voleur ou un petit chocolat chaud à la Midorée...
    Je vous embrasse !

    ReplyDelete
  4. Ni le voleur ni la Midore n'existent plus.
    Mais les beaux souvenirs resteront toujours vivants, toi faisant ta sieste derrière dans l'arrière boutique.
    Inoubliable

    ReplyDelete

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