Beyrouth a perdu de son charme originel le jour où, poussée en avant par le modernisme, elle a été obligée de dire adieu aux tramways qui sillonnaient la ville.
En 1908, les Ottomans avaient créé un réseau de circuits à Beyrouth destiné aux citoyens, qui était calqué sur les grands axes routiers de l'époque:
-de Dora au phare/bord de mer, et
-de Furn el Chebbak à Basta en passant par les Capucins.
A cette époque-là, les automobiles et les bus n’existaient pas à Beyrouth. Les tramways étaient par conséquent le seul moyen de transport en commun que les Beyrouthins empruntaient pour se rendre sur leur lieu de travail.
Lors des déplacements, les fenêtres pouvaient rester ouvertes, laissant entrer le parfum des fleurs. Un agent passait entre les voyageurs, et vendait les tickets pour le prix modique de quelques piastres.
Pourquoi ce fleuron du transport en commun nous a-t-il été enlevé? Ne pensons surtout pas que le tram est désuet, démodé, ancien, ou ridicule.
Actuellement, au siècle des jets, des odyssées spatiales…etc…Je remarque que dans certaines villes, le tramway roule toujours.
De Montréal à Singapour, de Lisbonne à Rio de Janeiro etc. ça roule toujours.
Je me souviens que lorsque des membres de la famille venaient nous rendre visite, la rencontre se faisait dans le tram, du départ jusqu’au terminus, à l'aller et au retour. Maman offrait du chocolat aux visiteurs qui étaient ravis de découvrir la ville. Il y avait une ambiance très festive.
Le coup d’arrêt définitif du tramway marqua la fin du rêve des classes moyennes, dont la survie dépendait de ce moyen de transport.
Je me demande ce que nous avons gagné depuis que Beyrouth a perdu son cœur? Où sont ces fleurs qui sentaient tellement bon, plantées devant le monument?
Souvenons-nous de ces "Pleureuses" ces deux femmes libanaises, réconciliées, après la bataille de 1886. L'une druze voilée, et l'autre, une chrétienne. L’entente a eu lieu à la suite d’une intervention de Napoléon III envoyant un détachement de l’armée française.
Peut-on oublier le Petit Sérail (ce bijou de l’architecture Ottomane), le cinéma Rivoli, la pharmacie Gemayel, le Commissariat (caracol), les restaurants etc.
Aujourd’hui, en traversant le centre à pieds, pour me rendre à mon travail, je suis seul. Je marche comme un orphelin qui cherche ses souvenirs perdus, ses rendez-vous heureux avec des amis. Et dire que cette place grouillait de monde venus de tous les coins du Liban. C'était un lieu de retrouvailles.
Qu'avons-nous gagné depuis que Beyrouth a perdu son cœur? C’était le rendez-vous des habitants du Akkar, de Byblos à Saida. Ces paysans qui proposaient de l’huile, de l’arack, et tant d'autres produits de leurs villages.
En 1968, la Municipalité de Beyrouth a obligé la Compagnie des Trams à retirer tous ses tramways de la circulation, et a exigé le démantèlement de tous les rails longs de 12 km.
Le nouveau Beyrouth était créé, avec ses incessants trafics d’automobiles, ses immeubles flambant neuf d'une hauteur de 20 étages, ses plages etc.... Tout a été transformé, rénové.
Sommes-nous plus heureux dans ce nouveau monde. ?
Nous étions plus calmes, plus sereins. Les gens vaquaient à leurs occupations sans trop se presser. Sur la route, on prenait le temps de se saluer, de discuter. On invitait ses amis à manger un knefé chez "Sémiramis", ou à prendre un café, chez "Automatique".
En ce temps-là, il y avait une certaine convivialité, une entente entre les voisins. Nous prenions le café le matin ensemble, et c'était l'occasion de partager les dernières nouvelles du quartier.
L’ancienne génération ne reconnaissait plus leur ville.
Avec le Nouveau Liban, on nous promettait une vie meilleure.
En éliminant les trams, on espérait un nouveau monde. L’avons-nous vraiment eu?
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