Un jour, alors que j’étais en récréation avec les classes de cinquième, le surveillant m’appelle et me demande de me rendre au bureau du préfet.
Arrivé sur place, je constate que nous sommes quatre élèves de ma classe, ainsi qu'un élève de la classe de Philo.
Le préfet, assis derrière son bureau fait les présentations:
Emile B. (de la grande section), nous dit qu'il sera notre chef d’équipe et nous explique que certains films projetés actuellement en ville deviennent immoraux, qu’on ne doit plus accepter cette tendance vers la décadence, vers le mal, et que nous sommes chargés d’informer la jeunesse (sous l'autorité du Préfet), pour déterminer si l'on peut ou pas, assister à certains films projetés en ville. Ces films étaient visionnés au préalable par le préfet.
Notre équipe a pour mission de mettre en garde et d'informer les élèves
Pour informer toute l’école de cette décision préfectorale, notre tâche consiste à afficher chaque samedi, des AVIS sur les portes de toutes les classes, en attirant l’attention des élèves sur la moralité des films: À VOIR ou À REJETER .
Les AVIS sont l'équivalent de conseils transmis aux cinéphiles avant qu'ils assistent à un film. Les élèves et étudiants des Pères Jésuites, se doivent de préserver la moralité du collège.
Tout allait bien, les élèves avaient compris, et suivaient les consignes données par les AVIS. Il n’y eut aucune erreur de commise.
Un samedi, nous avons été informés qu’une salle de cinéma avait prévu la projection d’un film faisant partie des films À REJETER, et dont la projection devait commencer le lundi suivant, au cinéma Empire. Il s'agissait du film : "l’Amant de Lady Chatterley", d'après le roman de D.H. Lawrence.
Ce film, après étude des autorités jésuites, avait été jugé interdit, avec la mention "À REJETER". C’était clair, aucun élève du collège de l'U. S. J., n’avait le droit d'y assister.
Le mardi suivant au matin, le préfet convoqua G F un élève de la classe de Philo.
Ce dernier nous fit part de cet entretien:
Le préfet s’adresse à G. F.
-Avez-vous assisté hier soir lundi, au film "L'Amant de Lady Chatterley "à la séance de 21:00 au cinéma Empire?
-Oui, Père.
-Vous saviez que ce film avait été interdit samedi dernier, comme indiqué sur la feuille des AVIS ?
-Oui, Père.
-L'aviez-vous lu?
-Oui Père
-Alors, pourquoi avez- vous désobéi ?
-Père, quand je suis hors du collège, je pense être libre de faire ce que bon me semble
-Très bien, vous aimez la liberté ? Alors prenez vos affaires de la classe et quittez le collège, définitivement.
G.F. devait présenter son bac, peu après. Il l'a obtenu en se présentant en candidat libre
Deux mois plus tard, au cours de la réunion hebdomadaire de l'Équipe des AVIS, Émile B. notre chef, nous annonce qu’un film sur la création du monde va être projeté en ville au cinéma Cristal.
- Ce film doit être boycotté, nous nous rendrons lundi à 15:00 à la première, afin d'arrêter net sa projection.
Nous contactons de jeunes volontaires pour nous accompagner et obtenons la permission d’être absents ce jour-là.
Le lundi à 14:30, nous nous retrouvons avec une quinzaine d'élèves et notre chef Emile B., prêts à nous rendre au Cinéma. Il achète nos billets et nous voilà assis, attendant la projection du film. La salle n'est qu'à demi pleine, et se compose surtout de commerçants du grand marché qui se trouve derrière le cinéma.
Après les "actualités", le film commence. Il se déroule dans le jardin d'Eden, avec un couple se promenant dans le plus simple appareil. Nous commençons à chahuter. Emile B. monte aussitôt sur l’estrade devant l’écran et entame son laïus. Il y a tellement de bruit qu’on ne comprend absolument rien. Les policiers arrivent et demandent à notre groupe de les suivre. Nous obéissons.
Le commissariat se trouve juste en face du cinéma, à environ cinquante mètres de distance. Nous sommes entourés par des agents de police, mais F. sur les conseils d'Emile B. arrive à s'échapper pour alerter le père recteur du collège que la police nous emmène.
Nous arrivons toujours en chahutant devant le commissariat. Le responsable nous informe que nous devons élire cinq élèves pour nous représenter, car nous ne pouvons pas tous être reçus dans le bureau du commissaire.
Je fais partie du petit groupe. Nous voilà tous les cinq face au commissaire en personne.
Il nous jauge de haut en bas, et nous annonce qu’il vient de recevoir un coup de fil du père Bonnet-Eymard, recteur de l’Université St-Joseph.
"Mes chers jeunes, YA CHABAB, vous, dont les familles sont respectées, vous êtes les futurs piliers de ce pays (sic), avouez que ce que vous venez de faire n’est pas correct. Vous n’êtes plus des gamins. Je vous laisse rentrer chez vous, mais ne recommencez plus. Promettez-le moi."
Nous promettons.et rentrons tous chez nous, heureux d’être libres.
Plus tard, les AVIS ont été remplacés par une revue très réputée dans les milieux cinéphiles, qui s'intitulait: "Les Cinés d’Orient". On pouvait y trouver des critiques ainsi que le résumé des scénarios des films avant leur projection au grand public.
On peut pardonner à notre éditeur ce petit retard, il se trouvait à l'aéroport de New York hier soir, pour recevoir son père Laurent arrivé de Genève et , son frère Florian ( le parisien ) arrivé de PARIS.
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