J’aimais beaucoup dessiner et peindre, mais je n’avais jamais pris ces disciplines au sérieux, et de plus, j'étais extrêmement occupé avec mon travail à Air France, ainsi qu'avec mes scouts.
En 1946, j’ai pris la décision de m’inscrire à l’Académie Libanaise des Beaux Arts à Beyrouth, et d'apprendre à dessiner. Je caressais aussi l'espoir de peindre plus tard. J’étais un élève débutant, sous la houlette d’un grand peintre: César Gemayel.
Tous les soirs, je fréquentais cette institution. L’ambiance était très amicale. Nous étions une dizaine de jeunes gens et deux jeunes filles.
Un modèle nu, Mariam, était couchée sur une petite estrade. Nous devions la dessiner.
Le chevalet devant moi, le crayon en main, j’ai commencé à faire des croquis. César passait souvent, et corrigeait mes erreurs. C'était un professeur impeccable dont je garde un souvenir inoubliable. Je regrette beaucoup de n’avoir pas pu continuer.
Nous étions une douzaine de jeunes, tous assidus. Il y avait là mon cousin Georges Guverjinian, devenu plus tard Guv, rendu célèbre grâce à ses marines, ainsi que de futurs peintres reconnus, comme Sinno, Ammar, Alfred Basbous, Chafic Abboud…etc…
J’avais à côté de moi, un jeune garçon fort sympathique, Chafic. Il était le seul à comprendre les plaisanteries que je faisais de temps en temps. C’était aussi le seul à avoir fréquenté les établissements des Pères Jésuites. Nous étions sur la même longueur d'onde.
Les autres élèves venaient d’un autre milieu, anglophone etc. Au bout de trois mois nous étions devenus de vrais amis. Il m’aidait beaucoup, juste d'un coup d’œil. Il était très doué On se faisait des confidences, et j’ai appris qu’il était en 3ème année de génie, à l’U.S.J, très en avance sur ses études, mais il comptait les arrêter et se consacrer à la peinture qu’il aimait par dessus tout.
Il avait cessé de fréquenter l’Université. Cela me paraissait surprenant.
"Tu es fou, mon ami, rien ne t’empêche de continuer les deux années qui te restent et d'obtenir le diplôme. Continue ton hobby. Qui sait ce que l’avenir te réserve?"
Rien à faire, et têtu de surcroît.
Un jour il demande mon avis sur le prix qu’il doit demander pour une toile de la Vierge qu'il avait réalisée à la demande des curés de son village, Ain Aar
"Sérop, tu crois que si je demande 30 livres libanaises ( un peu moins d'un euro à l’époque) c’est beaucoup, n’est ce pas?, Sérop, j’ai honte de leur demander, mais j’ai besoin de cet argent pour m'acheter des couleurs. Mes parents ont baissé leur contribution."
De temps en temps j’emmenais de la maison des sandwichs préparés par maman, avec une petite bouteille d'arak. Grâce à son aide, je faisais beaucoup de progrès. Je commençais à vraiment aimer le dessin…
Un jour je reçois un papier du père de Chafic, me demandant si possible, de faire un saut à son magasin d’alimentation. Je le connaissais bien. Souvent j’accompagnais maman pour nos achats chez lui. Quand j’arrive au magasin, il me supplie en me disant: .
" Je sais que Chafic vous estime beaucoup, s’il vous plaît, essayez de le faire changer d’avis. Qu’il continue et termine ses études de génie."
Il pensait comme moi. Je lui promets, mais je savais que c’était inutile…
De Paris, alors qu'il était en vacances, j’ai reçu des lettres très simples. ( voir ci- joint), il ne connaissait pas mon nom, seul Cérop. N° 9, rue de Damas, Beyrouth.
J'ai eu tort de ne pas l’inviter à notre mariage. Je l’ai ensuite perdu de vue. De temps en temps, j’avais de ses nouvelles par sa sœur qui passait à la librairie.
Je n’entendais absolument plus parler de lui.
Il faut dire que nous étions toujours en mouvement, les enfants, les écoles, les marches, nos voyages à l’étranger, Chafic, je l’ai raté.
Dernièrement j’ai lu par hasard, dans le journal, qu’une exposition des œuvres de Chafic Abboud se tenait au Biel, à Beyrouth. Aussitôt, avec Evelyne nous nous y rendons, espérant le rencontrer.
Nous commençons à regarder ses œuvres : ( Abstraction lyrique …) je suis très surpris de voir les prix astronomiques affichés en dollars. Incroyable! Je demande à le rencontrer, on me répond qu’il est décédé en 2004. Je suis très touché. Je vais aussitôt consulter mon ami Google, qui m’informe que Chafic Abboud a vécu à Paris, près du parc Montsouris, qu'il était très apprécié, et qu’à sa mort, une statue a été érigée dans ce même parc.
Au Liban dans son village, on peut voir également une statue érigée en son honneur.
J’avais côtoyé cet ami pendant 2 ans, il était devenu célèbre. Bravo. Il a vécu sa passion sans tenir compte des avis contraires à sa propre conception de la vie.
Dans la presse:
- Chafic Abboud établit un nouveau record mondial de vente
- "Le Chemin d'Alep" vendu $387,750 par Christie'sLe Chemin d'Alep
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