JUIN 1950, Albert, un jeune scout de ma troupe, vient me demander de l’aider à continuer ses études à l’Université de Lyon en France, chez les pères Jésuites.
Il a l’intention d’étudier GESTION ET ECONOMIE, cette branche n’étant pas enseignée à Beyrouth à cette époque.
Il a déjà sollicité un prêt au sein de sa communauté, mais n’est parvenu à aucun résultat. Après avoir demandé l'aide de personnalités éminentes au ministère de l'Éducation, sans résultat, il vient vers moi, sa dernière cartouche, et me supplie de faire quelque chose.
Je vais voir mon aumônier, le Père de Jerphanion (Chancelier à la Faculté de Médecine de Beyrouth), je plaide la cause d'Albert. Le père me demande si je peux me porter garant (moralement). A ma réponse affirmative, il demande à étudier les bulletins scolaires des trois dernières années du jeune garçon.
Je fais part des démarches à effectuer à Albert, en lui suggérant de se présenter
avec les résultats du collège des trois dernières années et de rencontrer le Père à la FFM. Il me remercie, et me quitte plein d’espoir.
Je revoie le Père et j’insiste, connaissant bien Albert, il était mon assistant dans ma troupe de scouts, je n’ai jamais eu à me plaindre, très débrouillard, serviable, un garçon qui promettait, et ses résultats scolaires le prouvent.
Le père me répond positivement et me dit qu’il fera tout son possible.
À cette époque, pour arriver en France, le seul moyen possible est le bateau, l’avion n’existant pas encore. J’ai appris plus tard, que les Pères Jésuites avaient pris toutes les dispositions possibles, pour deux ans d’étude, avec internat...
Depuis, je n'ai plus eu de contact avec Albert.
Avec le temps, l’oubli, je venais de me marier, Jocelyne, ma belle Jocelyne née, deux ans plus tard, première de la lignée, suivie de Alain et Laurent.
NOVEMBRE 1985, j’ai rendez-vous avec Gilbert Mille d’Air France, à Beyrouth.
Dans la salle d’attente, devant moi, sur une table, se trouvent une douzaine de revues internationales aéronautiques, j'en choisi une au hasard, de la Cathay Pacifique.
En première page, la compagnie annonce la nomination de son nouveau Directeur, Albert Manouk (General Manager Marketing & Sales), pour la région Middle East. Il y a une une photo, je le reconnais, c'est bien mon scout, Albert, malgré ses moustaches, assis derrière son bureau, entouré de son personnel (une vingtaine de personnes). J’étais très surpris et heureux de constater sa réussite.
De retour à la maison, je lui envoie aussitôt une lettre de félicitations, adressée au QG de la Cathay, à Bahreïn.
Une semaine plus tard, je reçois une lettre d’Albert m’annonçant qu’après avoir terminé ses études à Lyon, il a été accepté chez Cathay Pacific.
Connaissant mon goût pour les voyages, il met à disposition deux billets d’avion (first class) à mon intention, et me laisse le choix de décider de la destination et du jour, sans restriction.
Il me confie que les billets se trouvent à l’agence à Géfinor (Beyrouth).
A cette époque, le bombardement d’Achrafieh ne nous laissait aucun répit, c’était une occasion de fuir. Nous avions passé une nuit accroupis dans l’ascenseur. C’était de la folie. Le lendemain soir, avec nos couvertures, nous dormions au supermarché, au sous-sol de la librairie. Incroyable ! Nous avions fuit notre appartement, il ne restait plus personne dans l’immeuble.
Étant donnée la situation au Liban, la MEA, avec ses avions arrêtés au sol, avait autorisé ses pilotes sans occupation à travailler dans une autre compagnie, tout en sauvegardant leur droit de retourner à la MEA à la fin des hostilités. Alain avait choisi Gulf Air, basée à Bangkok (Thaïlande), avec ses Boeing 747.
Aussitôt qu’on lui apprend pour le cadeau de Albert, il nous demande de le rejoindre à Bangkok. Le lit de la chambre à l’hôtel était assez grand pour accueillir toute la tribu des Delifer, dit-il en riant.
La chambre était réservée à son nom, et il ne l'utilisait qu’un seul jour, par semaine. Il était affecté les 6 jours restant pour voler en aller-retour Bangkok / Australie via Singapour.
J’avais demandé à la secrétaire si je pouvais faire aussi un saut à Hong Kong, elle me sourit, en me disant que je pouvais me rendre à Tokyo si je souhaitais, en ajoutant que les billets étaient une faveur sans restriction et open.
Nous passons 21 jours merveilleux. Alain, je n’oublierais jamais notre escapade dans un bateau, d’où nous péchions des petits poissons gras. Une femme du pays, assise devant un grand primus, avec un plateau plein d’huile, marmite chauffée à blanc, à qui on remettait les poissons attrapés. Elle était chargée de les nettoyer sur place et de les frire. Nous, des seigneurs, on les mangeait tout chaud. Un rêve, non, la réalité!
Les après-midis à Bangkok, un van de l’hôtel emmenait les pensionnaires de l’hôtel en ville, pour connaître les superbes trésors thaïlandais, comme le marché, où nous goûtions les spécialités de fruits exotiques. Nos repas étaient assurés à l’hôtel. On profitait de la présence d’Alain pour manger des spécialités du pays en ville.
Evelyne descendait tous les matins au sous-sol, au centre sportif ultra moderne, pour suivre les conseils d'un coach sportif et profiter de la gym aquatique. Ce bonheur a pris fin au bout de 3 semaines.
Le bouquet fut notre vol à Hong Kong où, avec Alain, nous avons passé deux jours, à acheter des cadeaux à toute la famille. Nous avons eu la joie de rencontrer Marie Rose, une cousine, et son mari, Pierre.
Il faut voler sur un avion Cathay, pour comprendre ce qu’est l’hospitalité dans un avion. Je n’ai pas eu l’occasion de remercier personnellement Albert pour ce service à bord, des hôtesses, des fées à notre service, inimaginable.
Le vol de la Cathay Pacifique, reconnu deuxième mondial pour l'hospitalité à bord, était un rêve. Sans parler de l’hôtel de Bangkok, l’Impérial Hôtel. Le soir, en rentrant dans notre chambre, une rose était posée sur nos oreillers.
De retour à Beyrouth, j’envoie une lettre à Albert, en espérant pouvoir le féliciter et le remercier un jour de vive voix.
Pendant plusieurs années, je n'ai pas eu la possibilité de rencontrer Albert. Je décide alors de contacter les anciens scouts, puis sa communauté. Rien.
Je vais dans son ancien quartier, face à l’entrée de l’Hôtel Dieu. Des inconnus, le quartier a complètement changé. Des immeubles remplaçant les petites cabanes. « Ah oui, vous cherchez à rencontrer Albert, il vient rarement à Beyrouth, il est très occupé, il a réussi ce monsieur, il est à Bahreïn » me dit-on.
Avec Evelyne, nous continuons nos recherches, j’écris à Bahreïn, aucune réponse. Je me rappelle de la secrétaire qui nous a remis les billets de la Cathay. Elle se rappelle de moi, et m'annonce tristement, les larmes aux yeux, qu'Albert est décédé quelques années plus tôt, et que la Compagnie a perdu quelqu’un de très valable.
Je garde en mémoire Albert, comme l'une des plus belles images de ma vie.
Je me souviens... de Hasroun
Jean G., un ami libanais d'Egypte, vient de s'installer en France. Récemment marié à une française, il compte venir au Liban passer quelques jours en touriste avec sa femme, qui aimerait bien connaître ce beau Liban, tant chanté pour la beauté de ses cèdres, les ruines de Baalbeck... etc.
Il me demande si je peux les accompagner, juste deux jours, au Liban Nord avec une virée par Baalbeck.
Le lendemain matin de leur arrivée, je passe à l’hôtel, après les présentations avec la jeune mariée, salutations, café, nous prenons la direction du Nord, en passant par Jbeil, Batroun, et nous voilà en route pour Hasroun, où nous faisons une halte, avant les Cèdres.
Ce que j’aime dans ce village, c’est l’intérieur, la grande cour entourée de maisons rustiques, qui offre une vue panoramique sur la vallée, à vous couper le souffle.
On commence à flâner dans la grande cour, quand Jean, paniqué, me dit que son épouse doit se rendre d'urgence aux toilettes. Je regarde autour de moi, je remarque soudain une femme devant la porte de sa maison, en train de nous regarder. Je vais vers elle et lui fait part de la situation. Elle accepte aussitôt de nous ouvrir grand sa porte, en prononçant « Ahlan Wa Sahlan ». La femme de Jean entre en courant et va directement aux toilettes, près de la cuisine. Jean arrive à son tour et l'attend à la cuisine.
Quelques secondes plus tard, j’entre également à la cuisine pour remercier la dame et je remarque que Jean tient une assiette de soupe à la main. Il est en train de manger, avec une grande cuillère.
C’est en attendant son épouse près de la cuisine, qu’il a senti un parfum de soupe. Il s’adresse alors à la femme et lui demande l’origine de ce parfum envoûtant, et celle-ci de répondre : « Nous appelons cette soupe, Monsieur, du kebbé labanyé. Aimeriez-vous la goûter ? ». Jean, ne dit pas non et saute sur l’occasion. Le voilà en train, non de goûter, mais de manger, avec appétit, dans cette assiette creuse, cette bonne soupe.
Entretemps, la femme de Jean revient, en passant par la cuisine. Elle est très étonnée de voir son mari en train de manger, carrément. Elle demande la provenance de cette assiette, et Jean de désigner la dame, bonne cuisinière, qui sans hésiter demande à Jean si sa femme voudrait bien goûter (une façon de parler). Cette dernière accepte et la villageoise, contente, la sert d’une grande portion, avec une boule de kebbé à l’intérieur. Elle la félicite et demande la recette de cette merveilleuse soupe. En bon français, la villageoise, lui explique avec tous les petits détails, comment on prépare ce kebbé labaniyé.
Une fois terminée, Jean veut régler les 2 assiettes. Elle refuse. La jeune mariée, est très étonnée et ne comprend absolument pas la raison de ce refus.
Nous passons la nuit aux cèdres, le lendemain, notre plan est d'aller à Baalbeck directement par le plus haut sommet de la montagne. Jean aimerait d’abord, passer, si possible, par Hasroun remercier la dame de Kebbé Labanieh, en lui offrant une boîte de Baklawa (gâteaux libanais).
C'est sans doute cela que nous appelons « l'hospitalité libanaise ».
Cher Serop ;
ReplyDeleteNous voici tous anxieux pour ce jeune Albert puis traquillisés sur son sort lorque tu le confies en insistant au P.de Jerphanion , qui a tenu sa promesse de scout faite à toi chef scout ! On n'etait pas peu fier à l'époque d'être chef scout! On avait charge d'âme et responsabilité de personnes. Que disent ces principes au jour d'aujourd'hui??
Et bien le jeune Albert a tenu aussi sa promesse et la confiance que tu lui portais . Il est devenu grand très Grand et tu es ému et étonné qu'il ne t'a point oublié! Nous pas dutout et nous lui sommes reconnaissants de la joie rendue sous forme de voyage merveilleux en temps de guerre ! La Reconnaissance ? ENCORE oublié comme principe ! Hélas!!
Avec toi nous sommes allés à la recherche d'Albert! Mais qu'est il devenu. Et nous sommes triste de ce deuil ! Merci cher Serop... tu suis notre beau voyage à travers tes lignes ?? La magie du verbe cher cousin ! Encore ; yalla ! .