Je suis en pyjama, en train de lire avant de me mettre au lit, lorsque j’entends le klaxon codé de la voiture Dodge d'Air Liban. C’était une entente de contact, car nous n’avions pas encore le téléphone.
Je sors sur le balcon, Fouad, le chauffeur, m’annonce qu’il y a un départ de charter, et m'accorde juste le temps de m’habiller.
Une fois dans la voiture, il m’explique que le fils de l’émir de Doha âgé de onze ans, vient de rentrer guéri de Londres à bord de la MEA, après un séjour de neuf mois à l'hôpital
La nuit, il n'existe aucune liaison aérienne entre Beyrouth et Doha.
Le papa, (l’émir de Doha), ayant entendu que son fils est à Beyrouth, demande à l’avoir à ses côtés au plus tôt.
Un DC4 est mis à la disposition du fils de l’Emir, ainsi que de l'Intendant qui l’accompagne.
Nous sommes 3 équipages:
le Pilote ( Zouhair Barbir ), le Co pilote (Sélim Rizk ) et moi même, Navigateur ainsi que 2 hôtesses. Tous au service de ces deux illustres passagers.
Nous quittons Beyrouth, à 22 heures. Sans problèmes.
Je prévois notre arrivée à 4 h.30. Une heure après le décollage, je jette un coup d’œil à la cabine des passagers, silence complet, tout le monde dort. Tout va bien.
A 4 h. je contacte la tour de contrôle de Doha, en lui annonçant notre arrivée, et je demande que la piste soit prête à nous recevoir.
La piste était formée par une bande de terrain sur le sable, balisée avec des bidons d’essence, espacés sur les deux côtés. Cette piste était éclairée par des mèches enflammées accrochées aux bidons.
Le responsable de la tour de contrôle se trouve dans une petite cabane, d’où il me contacte avec un appareil manuel.
Qui aurait pensé que ce petit aéroport inconnu, perdu au milieu des sables, allait devenir un des aéroports les plus perfectionnés au monde?. Je tire mon chapeau. J’ai connu son essor et son épanouissement.
Nous atterrissons sur la piste balisée par les bidons, et suivons une Jeep qui nous attendait tout au bout. Nous devions la suivre, car c'était la seule possibilité pour nous retrouver dans cette immensité sablonneuse.
La Jeep nous amène près d’une Cadillac qui nous attendait quelque part.
Après nous avoir remerciés, l’intendant et le fils de l’Emir quittent l’avion et disparaissent à l’horizon, nous laissant toujours sur le sable.
Avant notre départ de Beyrouth, le chef des Opérations d’Air Liban, avait insisté pour un retour rapide, afin de permettre au DC4 d’effectuer le vol hebdomadaire de Paris.
Une fois le plein de fuel effectué, nous demandons l’autorisation de départ pour Beyrouth.
La réponse de la tour est négative. Nous sommes très étonnés. J’avais pourtant signé tous les documents de départ avec les autorités. Tout me paraissait régulier.
Pas de passagers, l’avion vide, il n’y avait aucune raison valable pour motiver ce refus. Nous avions correctement effectué nos démarches.
Une demi-heure plus tard, je rappelle la tour de contrôle La réponse est toujours NÉGATIVE, en précisant que notre autorisation de départ était rejetée par la cour de l’Emir, et qu’il fallait s'armer de patience.
Nous sommes bien obligés d'accepter cette décision. Je contacte Beyrouth pour leur dire de faire attendre les passagers pour Paris.
Combien de temps? Impossible de répondre à cette question.
Il est 8h du matin, la chaleur commence à s'installer. Il n'y a aucun endroit pour nous rafraîchir, et prendre un café… Le commandant Barbir, demande à Sélim de mettre un des moteurs de l’avion en marche, afin de faire fonctionner l’air conditionné. Il n’y a absolument rien, ni bâtiments, ni cabane, rien que le sable, même pas de chameau pour nous rappeler Lawrence of Arabia.. RIEN, en plein désert. Ceci nous permet de nous reposer de la nuit passée en l’air, et quelques instants plus tard, nous ronflons tous.
Deux heures plus tard, nous entendons le bruit d’un moteur de voiture à l’horizon. Nous reconnaissons la Cadillac qui revient à toute vitesse. L’Intendant descend de la voiture et entre dans l'avion. Il tient un sac. Il s’approche du cockpit, ouvre le sac, et offre à chacun de nous, une boîte marquée Rolex. A l’intérieur, une montre en or, semi automatique.
"L’Emir a été tellement content, nous dit-il, qu’il vous offre ce petit cadeau en guise de remerciements."
Les hôtesses ont préparé un bon café pour nous réveiller, et nous voilà en l’air, direction Beyrouth.
Pour ma première leçon de Navigation, à Londres, mon professeur Anglais, Mike Steer, m’ a dit…, un 1er point très important, à ne jamais oublier: degré d’erreur pour un avion, il est dérivé de 100 kilomètres au bout d’une heure, en dehors de sa route.
Pour les vols de nuit ( IFR ) Instruments Flight Rules, ( se référer à Google ) les navigateurs utilisent le sextant périscopique pour retrouver leur position. L’exactitude de l’heure doit être impérative, exacte au millionième. La précision d’une montre est la condition absolue pour établir l’exactitude nécessaire pour le calcul astronomique aidé par des éphémérides. Une station internationale émet sans interruption sur la fréquence de 2500 kc, 5000 kc etc. ce qui permet de régler la montre au 1/1000ème de seconde. Très important pour les calculs.
Pour comprendre l’importance de l’exactitude, je conseille à ceux qui pourraient être intéressés par le vol de nuit de se référer à Google, également sur le sextant astronomique utilisé dans les avions jusqu’aux années 1961-1962. Date à laquelle tout le système de vol a été complètement modifié. Je n’avais plus rien à faire, ma qualification internationale de navigateur était réduite à néant par l’apparition des systèmes de navigation ultra sophistiqués. Et dire que la compagnie m’avait envoyé à Londres, pour quatre mois en 1953, afin d’étudier le système.
Google explique très bien le sextant périscopique, sauf que le petit tube était rallongé de 30 cm. Un trou de la largeur du tube, se trouvait juste au-dessus du navigateur sur la carlingue. On ouvrait le trou au plafond en déplaçant un petit cache, et on sortait le tube à l’air libre. On regardait dans l’œil du sextant, et on voyait tout le ciel étoilé. Il était nécessaire de faire trois fois l’opération pour nous permettre de réaliser une triangulation, afin d’avoir la position de l’avion. Cette opération durait plus de 20 minutes.au total.
Je me rappelle d’un incident qui a eu lieu dans un avion de la B.O.A.C. en 1956:
Nous étions en vol lorsque je capte le S. O. S. d'un avion.
Parti de Londres la nuit vers Lagos, arrivée probable à 04.00 heures.
30 minutes avant d'atterrir, le pilote devrait voir les lumières de la ville et commencer la procédure de la descente. Le navigateur appelle le centre de Lagos, pas de réponse et ce, malgré plusieurs appels.
La raison est que l’avion se trouvait très loin, au centre de l’Afrique. Le pilote, en se réveillant, remarque que le signal du VOR ( aide radio ) indiquait une indication absolument incorrecte. Ils se trouvaient très loin de leur itinéraire. Après avoir checké le niveau de l’essence, le pilote décide d’atterrir en plein désert, et demande à son navigateur d'appeler les secours.
L’avion se pose tranquillement dans le désert du Sahara. Les 40 passagers sont indemnes..
Ils ont été secourus. Le navigateur avait commis une grave erreur dans son calcul. Il ne tenait pas compte de la triangulation. Il se basait seulement sur deux visées au lieu de trois.
Le Pilote et le navigateur ont été emprisonnés ( pour quelques jours), leurs licences retirées.
En 1956, j’ai reçu ce cadeau, qui fut, dans ma carrière, un compagnon irremplaçable et qui m’a aidé à retrouver toujours mon chemin. Cette montre m'a beaucoup aidée pour effectuer les visées.correctes.
En 2006, lors de la signature du Data Center, à Doha, le petit fils de l'Émir a envoyé son secrétaire à l’aéroport, avec une montre Panerai en cadeau à l'attention de mon fils Laurent qui lui a alors raconté l’histoire de son grand-père.
C'est aussi en 1956, que nous avons eu la grande joie de recevoir Alain dans notre petite famille.
Souvenir émouvant , intéressant , riche en détails . Après 60 ans la montre est toujours à l’heure et en de bonnes mains . Golden age que fut l’aviation de l’époque , semée d’imprévue , . Toujours risqué ce métier de Naviguant mais oh combien satisfaisant une fois arrivé à bon port , bon Aeroport . Que Dieu me prête longue vie pour que je puisse voir à mon tour Philippe aux commandes. Pour le moment on navigue à vue car la visibilité est complètement bouchée .
ReplyDeleteTes recits, cher Oncle Serop, sont tellement palpitants qu'ils me replongent dans l'enfance avec les aventures du "Club des 5" et "Le clan des 7". Vivement le mercredi avec un nouveau recit
ReplyDeleteTes recits, cher Oncle Serop, sont tellement palpitants qu'ils me replongent dans l'enfance avec les aventures du "Club des 5" et "Le clan des 7". Vivement le mercredi avec un nouveau recit. Janine/Nina Delyfer
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