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12. Le camp scout à Chypre, Juillet 1947

Jean Sasportas, un chef scout et professeur à l’American University of Beirut, ayant organisé un camp scout à Troodos ( Chypre ) me demande si je veux bien être son aide de camp pendant 20 jours. 

Ne pouvant me libérer que 15 jours, il accepte quand même.

Le jour du départ, nous voilà 40 jeunes pleins d’entrain, entassés dans deux camions, avec nos sacs, le matériel, les tentes, l’Intendance, direction le port de Haïfa, en Palestine, seule possibilité de rejoindre Chypre.

De là, nous prenons un gros bateau (nous voyageons sur le pont, c’est plus économique ) une bonne occasion de faire connaissance avec les étoiles. Le bateau nous mène à Famagouste, Chypre, seule possibilité pour accoster sur l'île.

Deux autobus nous attendent au port, ils nous emmènent jusqu’à la forêt de Troodos. Un endroit superbe.

Dans le groupe, se trouve un français, Tristram. Son hobby: faire le tour du monde, et un libanais, Sélim Nafaa. ( futur ambassadeur )

Nous sommes, les trois scouts, supplémentaires, pour aider Jean, mais obligés impérativement de quitter le camp, au bout de 15 jours, à cause de nos occupations respectives..

Le Mont Troodos, culmine à 1952 m. d’altitude, avec des massifs de pins et de cèdres, un lieu idéal pour camper.

Quinze jours plus tard, comme convenu, les trois scouts supplémentaires, nous quittons le camp ( à regret ) pour rejoindre le port de Famagouste, et prendre un voilier en direction de Beyrouth.

A notre arrivée au port, un grand voilier s’apprête à quitter Famagouste pour Beyrouth, Le capitaine accepte de nous embarquer, et nous informe que les moyens à bord sont très rudimentaires. Il nous confirme que nous serons à Beyrouth dans moins de 20 heures. 

Pour ces 20 heures, nous sommes prêts à faire quelques sacrifices. Nous réglons de suite.

Au coucher du soleil, le voilier quitte le port. Le moral est au beau fixe.

A bord, des tonnes de Caroubes et de lentilles, ainsi que 5 matelots.

Nous quittons le port. A ma question, concernant les moyens de bord, cabine, l’eau courante, toilettes, bains, etc. INCONNUS Un matelot m’explique comment utiliser les toilettes, assis à l’arrière sur le bord du parapet, derrière au vent, très rafraîchissant.

Le lendemain, un autre matelot sort des grands pains d’un sac, et il commence à les couper en morceaux, pour les étendre au soleil. Nous lui demandons la raison de son geste Le pain dur, résiste davantage, nous dit-il. J'ai un mauvais pressentiment. Prévoyant du retard, les pains durcis au soleil, sont toujours bons à manger après plusieurs jours. Ça n'augure rien de bon.

Je suis curieux de savoir si le matelot utilise le HAND SANITIZER, en manipulant le pain, Il ne comprend pas l’anglais. 

A notre stupéfaction, le capitaine nous informe que notre arrivée sera un peu retardée.

Le troisième jour, en nous réveillant, nous sommes en face d’un port. Je ne reconnais pas le port de Beyrouth. Et pour cause, nous sommes en rade, en face du port de Tel Aviv. Le capitaine avait jugé bon de livrer la cargaison d’abord, en Palestine. Nous commençons à avoir peur. Au départ nous avions convenu de nous arrêter d'abord à Beyrouth, et ensuite dans les autres ports. Mais la communication avec l’équipage est quasiment impossible.

Ils sont 5, et nous sommes obligés de leur obéir.

Discussions avec les matelots, ils nous mentent, sans arrêt, et nous donnent toujours, des réponses évasives.

Ne parlons pas des menus. Au petit déjeuner, le café est imbuvable, avec pain grillé au soleil. Tous les midis et tous les soirs, nous avons un plat de lentilles dont les conséquences sont néfastes, accompagné du pain croustillant, rassis. Au dessert, une branche de Caroube. Notre moral est au plus bas.  

Par ailleurs, nous avons de la chance car il fait un temps splendide. Nous en profitons pour prendre des bains de soleil.

Impossible de contacter nos proches pour les informer de notre retard. Je commence à avoir peur. Personne n’est au courant de notre escapade. Et si le capitaine nous vendait comme esclaves…Discussions le soir, entre nous, pour être sûrs que l'esclavage est aboli…. Je leur fais remarquer, que pour le moral, il vaut mieux ne plus évoquer cette éventualité.  Mes rêves sont perturbés par des cauchemars.

Voilà maintenant quatre jours que nous avons quitté Chypre.

Pour être honnête, au coucher du soleil, le paysage de la côte palestinienne, avec ses jardins, ses oliviers, et ses toits rouges nous enchante. Mais nous n’arrivons pas à goûter pleinement ce plaisir, vu notre énervement à cause du retard. Tristram en profite pour nous raconter ses aventures en Birmanie etc..

Au matin, le voilier reprend sa route, nous remontons, cap au nord. Nous accostons à un grand port, 

Nous voilà maintenant à Haïfa. Impossible de descendre à terre, les Anglais sont maîtres. Ils pensent que nous sommes des Juifs. Nous passons la nuit dans la rade du port. Énervés. Nous sommes devant un mur. Insurmontable

Cela fait 5 jours que nous ne sommes pas lavés. Nous sommes sales, crasseux, nous sentons le poisson.

Le lendemain, Sélim, se souvient, ( il était temps ) d’un ami ( Louis Eid ) qui vit à Haïfa, et dont le papa occupe le poste de Directeur Général de la Poste. Il lui écrit deux mots, en expliquant notre situation et charge un pêcheur avec un pourboire de remettre la lettre en mains propres à Louis Eid .

Nous commençons à nous impatienter en attendant la réponse, si réponse il y a, c’est notre dernière cartouche pour retrouver notre liberté.

C'est alors que nous remarquons un grand bateau en rade du port, avec plein de passagers à bord. Ils gesticulent en discutant avec les militaires anglais. C’est la foire entre les passagers du bateau et les autorités locales, tenues de main de maître par les anglais. Nous ne comprenons pas la raison.de ce tohu-bohu.

Tristram, avec ses jumelles, déchiffre le nom du bateau, EXODUS*. Ce nom, inconnu, ne nous dit rien.

Nous passons la nuit, à bord du voilier. La terre est à quelques mètres de notre liberté. et nous avons de gros soucis quant à notre avenir.

Le lendemain, à 10 heures, les autorités anglaises, nous autorisent, à descendre du bateau à la condition expresse de quitter le sol palestinien de suite.

En partant, nous remarquons un autre bateau qui arrive, c’est le nôtre, celui en provenance de Famagouste.

Un taxi palestinien, nous emmène jusqu’à la frontière libanaise. A midi nous arrivons à Naqoura, la frontière. Nous poussons un Ouf, de soulagement. Heureux de fouler enfin le sol libanais. 

Je propose de chercher un restaurant, afin de nous restaurer comme des gens civilisés, de prendre un petit arack pour nous remettre de nos aventures, sous le ciel bleu libanais, et de déguster des plats libanais, autres que les Caroubes et les Lentilles, et aussi, d’utiliser des toilettes normales. Quel bonheur !Un taxi libanais nous ramène à la maison, chez nous, notre chère maison, qui nous a beaucoup manqué.

Nous avons été les dindons de la farce, mais ces 5 jours passés sur ce voilier, nous ont permis de partager la rude et néanmoins belle vie des marins.

Heureusement que nous n’avons pas rencontré le mauvais temps. En dehors de nos mésententes avec les matelots, nous garderons de très bons souvenirs de ces 5 jours. Les levers, les couchers du soleil, ainsi que de la lune sont incroyablement beaux, Ils sont tout à fait différents vus de la mer. 

J’ai depuis lors, compris un peu mieux la mentalité de ces marins qui font le tour du monde. ( Vendée Globe ). Ils ont de la chance de pouvoir parcourir les océans, en solitaire, avec la mer, comme seule compagnie.

*L’EXODUS (hébreu): Ce bateau transportait des rescapés juifs, Le navire fut intercepté par la Marine Britannique au large de la Palestine, et interdisait aux juifs de débarquer. Historique.

Mercredi prochain : Une fleur au chapeau, à la bouche, une chanson... 

Comments

  1. 20h de voyage qui se transforme en 5j... quelle patience. Merci pour ce blog, toujours un plaisir de lire tes aventures

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