Skip to main content

9. Le Rocher de Pétra (Jordanie)

Un soir en 1953, le bureau des Opérations d’Air Liban, me demande d’être prêt pour un départ le lendemain matin à 6 heures sur un charter de 2 jours à Pétra, site touristique en Jordanie. J’avais déjà visité ce rocher avec un groupe de touristes Français, et j'en gardais un très bon souvenir.

Malgré le travail fatigant du métier, j’avais de temps en temps des charters qui changeaient la monotonie de nos escales. J’aimais mon métier.

Le bateau américain "Le Constitution" en croisière autour du monde avait jeté l'ancre la veille au port de Beyrouth, avec une centaine de touristes américains, à son bord. Il faisait escale pour 3 jours, afin de permettre à ces touristes, de visiter les sites du Moyen Orient. Certains avaient choisi Damas, ou Alep, d’autres les Cèdres et les ruines de Baalbek, Les 30 touristes restants souhaitaient visiter le Rocher de Pétra, un site historique, construit par les Nabatéens dans le désert de Jordanie.

C’était mon second vol sur Pétra. Je connaissais bien ce site. Seul un DC-3, avion léger, pouvait atterrir sur un semblant de piste, non loin de notre destination. Le lendemain matin, je suis à l’aéroport et je regarde mes passagers. Leur moyenne d'âge se situe entre 75 et 85.ans. Jimmy Mac Donald, le jeune guide, très sportif, et bien élevé, un sourire commercial aux lèvres est à leurs petits soins. Une heure plus tard : "Attachez vos ceintures, décollage immédiat." Il fait un temps radieux, au Liban.

Après avoir survolé Damas et Amman nous sommes en vue de la piste dans le désert, Celle-ci est reconnaissable grâce à la seule et unique petite cabane ainsi qu'à l'unique palmier de la région. Aucune facilité, la tour de contrôle n’existe pas. Pour connaître la direction du vent, les autorités ont eu la bonne idée de planter un bâton au bout de la piste avec un chiffon accroché à son extrémité. Un avion doit connaître la direction du vent pour se poser.

Après avoir atterri, sur le semblant de piste, les touristes devaient se rendre en jeep, au poste de police jordanien, se trouvant à 2 kilomètres pour les formalités. De là ils pouvaient se rendre à cheval, ou à pied jusqu'au site. Libre à eux de choisir le moyen qui leur convenait le mieux.

Le trajet à pied était superbe. Il fallait traverser une vallée étroite, avec des gorges aux roches noires, bordée de hautes montagnes ( +/- 100 mètres) des 2 côtés. Le trajet durait 35 à 45 minutes, et dépendait de l’âge des personnes. Certains, se rappelant de leur jeunesse, décident de le parcourir à pied 

Nous avions commencé à marcher depuis un quart d’heure, j’étais en tête du convoi, lorsque j’entends des cris.

J’accours. Je vois que le guide, Jimmy Mac Donald, est déjà sur place et se tient devant une dame allongée par terre. Elle venait de tomber de son cheval.

Elle ne se plaint pas beaucoup. Son mari est près d’elle et la surveille. La dame est tombée du cheval, lequel en se relevant avait cassé sa clavicule en s'appuyant dessus.

Je surveille la scène de loin. Le mari se relève, et annonce fièrement qu’il n’y a rien de grave, ON PEUT CONTINUER. On l’a échappé belle. La "réserve" de Pétra est tenue par un libanais. La cuisine y est excellente. La journée se passe comme prévu. Sur place, chaque couple se voit attribuer une tente réservée avec tout le confort.

Les 4 membres d'équipage avaient chacun une grotte dotée d'un lit confortable. (Nous étions gâtés.)

La visite du rocher commence, avec les explications du guide. L’atmosphère est très agréable. On a oublié la chute de la dame américaine. TOUT VA BIEN.

L’espace repas réservé aux touristes est spacieux. Une table est installée au milieu, le déjeuner est préparé par un libanais. Parfait. 

L’après midi, première partie de la visite, Le soir, à 21 h. le camp est calme, tout le monde essaie de dormir, après une journée éprouvante. 

Le rendez-vous est fixé au lendemain à 8 heures pour le petit déjeuner et la suite de la visite.

A 22 h. le guide me réveille, et m’annonce que la dame accidentée se plaint de fortes douleurs, et qu'elle doit rentrer sans faute le lendemain matin à Beyrouth. Le pilote Shtele, un allemand, est également présent. Nous devons contacter les autorités anglaises à Chypre, pour qu'ils envoient un hélicoptère médical en urgence.

A Pétra, il n'y a aucun moyen de communication avec l’extérieur. Pas de téléphone. Nous devons donc nous servir des appareils de l'avion. C'est la seule solution.

Après 45 minutes de marche, nous arrivons au petit aérodrome, heureusement, la pleine lune nous aide à trouver notre chemin.

Nous voilà à l’intérieur du DC-3. La mise en route d’un moteur suffit pour alimenter les deux appareils, émetteur et récepteur, appareil très puissant ART13, capable de contacter le monde entier.

Le guide me prie d'entrer en contact avec l’aéroport de Chypre pour demander les aides possibles.

En temps que radio/navigant, je ne suis assermenté que pour contacter des stations aéronautiques, et en aucun cas des stations radio citadines.

Devant la responsabilité d’une telle démarche, je me tourne vers le pilote et lui rappelle que je ne peux assumer la responsabilité seul d’une telle démarche, Voyant mon hésitation, le guide me fait alors part de l'identité de l’accidentée, Il s'agit de l'épouse de Mr Michaël Rockefeller. 

Le sésame connu, tout était dit, toutes les solutions étaient possibles. Le commandant Shtele prend sur lui la responsabilité, et je peux alors lancer mes appels.

Je prépare un message ainsi libellé pour la tour de contrôle de Nicosie.

"urgent request for a medical helicopter in Petra Jordan to transport gravely injured person Mrs. Michael Rockefeller to the American hospital of Beirut stop landing anticipated in Petra 4 o’clock GMT stop On site all facilities ready to receive assistances stop Please inform American embassies of Lebanon Syria and Jordan of flight plan stop Received 23 o’clock GMT directed by jimmy 0013647 

Traduction : Demandons en urgence un hélicoptère médical à Pétra Jordanie pour le rapatriement de Mme Michaël Rockefeller, très gravement accidentée à destination de l'Hôpital Américain de Beyrouth stop Votre atterrissage prévu à Pétra 4 heures GMT. Toutes commodités prêtes à Pétra pour recevoir aides stop Prière informer ambassades Américaine. Libanaise Syrienne et Jordanienne de votre survol espace aérien stop accusez réception stop responsable Jimmy 0013647 stop rdv 23 heures GMT.

Une fois le message transmis, nous coupons le moteur du DC-3, et quittons l’avion, pour jouir du spectacle unique et merveilleux du ciel étoilé. Nous n’osions pas parler. Sous la voûte du ciel étoilé, trois personnes, éberluées, prises sous le charme unique. On pouvait toucher les étoiles. Jamais je n’avais eu l’occasion d’admirer les étoiles aussi brillantes, Nous étions muets, du jamais vu, inimaginable. Quelle beauté!

Le silence et la nuit poussent les gens à la confidence. Le commandant Schtele, très humain, me confie qu’il a été officier de la Luftwaffe dans la Wehrmacht durant la guerre de 39-40. Une fois la guerre terminée, avec sa femme et ses 2 garçons il a choisi de venir s’installer au Liban, ayant lu dans la presse, qu’Air Liban avait besoin de pilotes.

Avant 1 heure du matin, nous remontons dans l’avion, remise du moteur en route. Je contacte Nicosie. 

A mon premier appel Chypre répond aussitôt, Il m’a reconnu, Tout est OK, toutes les ambassades ont été prévenues. L’Hélicoptère médical sera au rendez-vous à 4h GMT. Au-dessus du site Pétra. A mes remerciements, l’opérateur me dit "A votre service Sérop" Dans notre métier les amitiés sont courantes.

Il est 1h20. Il fait nuit noire, nous sommes éclairés uniquement par la lueur des étoiles. La lune a presque disparu, et a laissé la place au ravissement de la voûte céleste. Au retour, la fatigue est grande.

Je me couche à 2 heures du matin, Une chose pareille n’arrive qu’une seule fois dans une vie.

Je me réveille au bruit du Teuf Teuf Teuf des pales de l’hélicoptère. Je suis époustouflé devant cette scène digne d'un film de James Bond. Il est 6 heures. Le bruit réveille certains, parmi les touristes. Rares sont ceux qui sont debout pour assister à l’embarquement de la malade. Je me crois dans un film de James Bond 007.

La visite de Pétra continue, malgré l'incident. Les touristes sont contents. L’un d'eux, en me remerciant, me félicite de notre action pour le sauvetage de Mme Rockefeller. Je me souviendrai toujours de cette nuit.

 A 18 heures nous sommes dans l’avion pour rentrer chez nous, après deux journées uniques et inoubliables.

La semaine prochaine: Monique

Comments

  1. Marie Françoise me prie d'envoyer ses commentaires. Les aventures de mon cousin Sérop nous transporteent toujours Sindbad sur son tapis Air Liban... Encore Encore Sérop. N'arrête pas les contes du mercredi. On est tout ouïe

    ReplyDelete
  2. Je l'attendais avec impatience cet épisode mythique !!! A quand la série netflix ? Bravo pour l'écriture captivante !!!

    ReplyDelete
  3. J’ai tjs dit que le métier de naviguant était le plus beau métier du monde . Parsemé d’aventures et de si belles histoires .

    ReplyDelete
  4. This comment has been removed by the author.

    ReplyDelete

Post a Comment

Popular posts from this blog

78. TEMOIGNAGES DE NOS LECTEURS

"Merci cher Tonton de ces magnifiques témoignages et souvenirs. Je me souviens de vos week-ends à Baabdat chez nous aux temps heureux . Je me souviens de la librairie où je venais découvrir les livres. Je me souviens des pique-niques au retour du ski dans les montagnes généreuses du Liban que tu as su si bien décrire. Sais-tu qu’avec ton patronyme DELIFER on peut faire une belle anagramme ? Oui, nous avons vu DEFILER les souvenirs heureux ou tristes qui resteront dans nos cœurs." Monique et Jean-François Devedjian-Patin

76. HORS SERIE - Sérop Delifer, un siècle d’histoire(s) libanaise(s) [extrait de L'Orient-Le Jour]

Caroline HAYEK, journaliste au journal L'Orient-Le Jour, a découvert par hasard ce blog lors de recherches sur internet. Les nombreux récits ont inspiré la journaliste qui a entrepris d'écrire un article centré sur le plus ancien lecteur du journal. Elle s'est empressée d'entrer en contact avec Sérop pour organiser un entretien chez lui. L'article est paru lundi 26 juin 2022 , en voilà le contenu. PORTRAIT Sérop Delifer, un siècle d’histoire(s) libanaise(s) « L’Orient-Le Jour » est allé à la rencontre de son plus ancien lecteur. Caroline HAYEK Le 8 juillet 1924, les premiers feuillets du nouveau journal L’Orient sortent tout chauds des rotatives d’une imprimerie beyrouthine. À 22 ans, Georges Naccache, son cofondateur et rédacteur en chef, mue par sa passion pour l’écriture et la langue de Molière, est pressé de décrypter le nouvel ordre régional né de la chute de l’Empire ottoman, mais aussi de raconter ce « beau désordre » qu’est le Liban. « Nous vous proposons se

77. La robe de baptême

Nous sommes en 1925. Sitt Nazira Kasparian, la maman d'Evelyne, est assise dans la cour de la maison, et rêve en apportant la dernière touche à une robe en satin blanc qui servira de robe de baptême. Un garçon ? Une fille ? Peu importe, pourvu que le bébé soit en bonne santé.  Sa naissance est imminente.  « Il faut que je me dépêche de terminer cette robe. Je veux qu'elle soit prête à temps afin que tous les invités puissent l'admirer lors du grand jour » pense t-elle. La sage femme est formelle, l’arrivée tant attendue est prévue dans une semaine. « C'est une fille !  Elle s’appellera Evelyne, et cette robe que j’ai cousue avec tant d'amour lui ira à merveille pour célébrer son baptême » jubile sitt Nazira. Evelyne gardera précieusement cette robe pendant des années. Celle-ci servira lors des baptêmes de plusieurs générations de bébés de la famille. Nous sommes en 2022, le 25 février, Evelyne vient d’apprendre la naissance de la petite Max, fille d’Alicia et de F