7. Les aventures dans l’histoire de l’Aviation de grand-père, ou l’histoire rocambolesque d’une hélice
En 1956, nous décollons de Beyrouth en Direction d' Accra via Khartoum
A bord, nous sommes :
-Jacques Ferré, commandant de bord
-Sélim Rizk, co-pilote
-Je suis le radio/navigateur ( obligatoire pour les vols sur les déserts africains, à cause de la possibilité de se positionner en s’aidant du sextant parabolique)
-Deux hôtesses de l’Air
L'avion est un DC 4.
-A bord 50 passagers
Jour: Un mardi en 1956
VOL – Beyrouth-Khartoum ( Soudan ) –Kano -Accra (Ghana)
Après une escale d’une heure pour faire le plein, nous quittons Khartoum à 22 h. Notre cap est de 270°et nous survolons le désert soudanais ainsi que la jungle infinie, J’estime atteindre Kano notre prochaine escale, à 5 h du matin.
Quatre heures de vol sans aucun point de repère. Le désert vert, la jungle à perte de vue, couverte d’arbres, sans interruption. Je trouve nos positions grâce au sextant parabolique et aux signaux transmis du sud de l'Espagne.
A tout moment, nous devons être à même de donner notre position, (c’est un must, le premier souci du navigateur).
Nous dépassons "el Fasher", un petit village perdu dans la forêt , au Soudan, à l’heure prévue, ( ce qui confirme mon calcul de positions ). Nous estimons passer au-dessus d’un autre village "al Genaïna" dans 45 minutes. Avec ce dernier village nous quitterons le Soudan, mais pas encore, la grande forêt verte. ( Par village, comprendre, une seule et unique lumière )
En survolant Al Genaïna, je me suis souvenu, qu’en 1952, sur un DC-3, nous avions été obligés d’atterrir sur la piste qui servait accessoirement de terrain de foot. Nous avions demandé du kérosène. Une heure plus tard nous avons vu 2 chameaux arriver avec des bidons, sur leur dos suivis de leur propriétaire, un grec, Georgio, qui nous a offert du café.
Nous entrons sur le territoire Tchadien, quand un moteur commence à tousser. Nous coupons le contact,
J’ai l’impression que ce vol aura des problèmes.
D'après la loi de l’Aviation Civile Internationale, un avion ayant des passagers à bord, et présentant une avarie, doit absolument atterrir au premier aéroport qui se présente. Pour nous, le terrain le plus proche se trouve à Fort-Lamy au Tchad ( actuelle N'Djamena ).
Je demande l’autorisation d’atterrir d’urgence à Fort-Lamy Notre arrivée étant prévue dans 45 minutes. et aussi d’aviser l’agent d’Air France de notre arrivée, avec 50 passagers, et 5 membres d’équipage à bord.
J’entre en contact avec Beyrouth «Opérations» Air Liban qui m’informe qu’un avion DC-3, avec un moteur de remplacement à bord, et accompagné de mécaniciens, arrivera à Fort-Lamy l'après midi, même, vers 17 h.
A notre arrivée à Fort-Lamy, le mercredi matin, le responsable d’Air France ( André ) , nous dit être très ennuyé, car il n’a pu retenir que 3 chambres dans l'unique hôtel, pour les trois équipages. Les 2 hôtesses avec les 50 passagers seront accueillis par des familles libanaises.
D'ailleurs des libanais, sont déjà à l’aéroport, avec des drapeaux ,pour nous souhaiter la bienvenue,( les nouvelles courent très vite dans ces coins d’Afrique ).
L’avion, avec le moteur neuf arrivant à 17 heures, les passagers sont priés de se rendre à l’aéroport, le soir même, pour un départ prévu à 20 heures.
Nous les trois seigneurs privilégiés, allons à l’hôtel, au centre ville. Nos chambres sont confortables, avec un bon lit et une salle de bains privative.
Jacques, le pilote, nous invite à nous retrouver ( après une douche ) au restaurant pour notre petit déjeuner.
Excellente idée.
L’hôtel en question est une bâtisse du siècle dernier, ayant au 1er étage une terrasse de 2 mètres et demi de largeur, entourant toute la façade intérieure, avec vue sur un bassin au centre.
Après ma toilette, je sors sur la terrasse et suis très étonné de voir, face à ma porte, un lit avec une moustiquaire. Une dame ( que je prends pour une nourrice ) à genoux, préparant un biberon sur un camping gaz pour le bébé, couché dans un couffin.
Devant ce spectacle, je ne peux que prendre LA décision et LA seule, en cédant ma chambre à la dame. C’est ma B.A. du jour. (Nous partons ce soir, alors faisons un geste de gentleman.)
Comme convenu, le DC-3 tant espéré, arrive, à 17 h.
Le moteur en panne est retiré de son socle. C'est alors que l'on réalise alors avec effroi, que l’hélice, du moteur de rechange, a été oubliée d’être embarquée à Beyrouth.
C’est la panique.
Tous les passagers sont présents à l’aéroport comme prévu, dans l'attente de leur départ. André, le responsable d’Air France, leur annonce qu’ils doivent retourner se reposer, dans les familles d'accueil, en attendant notre décision. C’est la joie des libanais de Fort-Lamy. La fête continue.
Jeudi matin, à l’aéroport, André nous annonce, qu’un avion "Constellation" d’Air France va quitter Orly, dans quelques heures pour arriver à Fort-Lamy à 7 heures, le lendemain matin. Profitant de l’arrivée de cet avion, il a déjà télexé à Air France demandant d’embarquer une hélice de DC-3.
Confiant dans cette bonne nouvelle, André, annonce ( avec l’accord du pilote ) à tous les passagers que le départ est prévu pour le lendemain vendredi à 8 heures. ( 2 heures après l’arrivée de l’avion d'Orly. )
Tous les passagers déçus ( moi aussi ), nous devons patienter. Je n’ose les regarder pour les calmer.
Les mécaniciens bloqués à bord du DC-3, sont contraints de dormir dans l’avion . Les Opérations d’Air Liban, nous informent que la compagnie a un besoin urgent du DC-3 ,et qu’ils doivent rentrer à Beyrouth au plus vite.
Je passe mes nuits sur la terrasse, dans le lit-moustiquaire.
Je fais ma toilette chez Sélim.
A 6h du matin, avec la 4 X 4 nous remontons à l’aéroport, où tous les passagers nous attendent, heureux de reprendre l'avion.
André nous annonce alors une histoire rocambolesque:
Le "Constellation" d’Air France avec notre hélice à bord, en survolant Marseille a eu une avarie. Il a été obligé d’atterrir.
Un autre avion a alors quitté Paris, au secours de l’avion en panne à Marseille, pour reprendre les passagers à bord, et les amener à Fort-Lamy. Nous espérons que l’hélice sera à bord de cet avion de secours.
De nouveau, les passagers sont priés de patienter, et de retourner chez les chers libanais hospitaliers . Rendez-vous est pris pour le lendemain matin à 8 h. à l’aéroport.
L’avion qui a embarqué les passagers à Marseille arrive à Fort-Lamy. Il est reçu par les applaudissements de tous les passagers.
André monte dans l’avion: Pas d’hélice en vue. Il est resté dans l’avion en panne, et est retourné avec le "Constellation" à Orly.
Que s'est il passé?
Nous recevons un télex d’Orly, annonçant que l’hélice est retournée à Paris avec le "Constellation". Ils regrettent, beaucoup.
C’est le quatrième jour. Personne ne veut plus nous croire.
C’est une série de mésaventures incroyables. Un film sur Netflix à épisodes, sous-titré.
Le DC-3, avec les mécaniciens à son bord, repart à Beyrouth pour rendre l'avion.
Même programme que la veille: les passagers à l’aéroport, commencent à murmurer, à rouspéter. Il y a de quoi. Retour chez les libanais, hospitaliers.
On dit qu’un poisson offert commence à sentir au bout de 3 jours.
André,( toujours lui), nous annonce la bonne nouvelle :
Un avion d’Air Mali, doit quitter Bamako pour Fort-Lamy, à sa demande Une hélice sera à bord, sans faute.
Effectivement l’hélice était à bord. Les mécanos de l’aéroport l’installent, nous, les trois équipages, faisons le test ( seuls ) Tout va bien.
Embarquement immédiat, direction ACCRA.
L'escale à Kano a été annulée, les passagers pour cette ville ont été acheminés par voie terrestre.
Pas de drapeaux, ni beaucoup de libanais pour nous souhaiter Bon Voyage.
Une fois que l’avion a atteint son altitude de croisière, je quitte mon poste pour m’excuser auprès des passagers, leur souhaiter le Hamdella al Salamé rituel, ( Merci mon Dieu, vous êtes en bonne santé ) et constater leurs réactions.
En me déplaçant entre les fauteuils, je sens que quelqu'un me retient.
Je constate qu'il s'agit de la femme avec le bébé qui me dit qu’elle a été très touchée de ma généreuse proposition, et, elle m’offre une bague sertie de diamants qu’elle retire de son doigt, à l'intention de ma femme
Je la remercie, et je refuse catégoriquement, ce cadeau qui représente un sacrifice pour elle
Dois-je regretter maintenant ce cadeau royal? car pour moi cette dame était une femme de compagnie ( vu son habillement ) et non pas l'épouse de Mr Captan.
J’ai appris plus tard que Mr Captan, son mari, est un nanti, et que cette dame est la sœur de Rachid Karamé, ancien premier ministre libanais.
Six mois plus tard, une après-midi, on sonne à la porte. J’ouvre, un monsieur inconnu avec un gros bouquet de fleurs, à l'attention de Mme Delifer, m’annonce qu’il est envoyé par Mme Captan, arrivée trois jours plus tôt d' Accra.
Comment m'a-t-elle retrouvé?
Aujourd'hui, (64 ans après), en écrivant ces quelques lignes, je ne réalise pas, que tant d'années me séparent de cette aventure et que je devais la raconter un jour à mes petits enfants et à mes amis.
Je ne regrette pas d’avoir refusé la bague, mais n’aurait-t-elle pas servi à me rappeler ces cinq nuits passées sous une moustiquaire, à Fort-Lamy?
La vie nous réserve bien des surprises.
La vie est ainsi faite: des moments d'angoisse, de déception, d'attente, de contrariété mais aussi d'espoir, de soulagement, de joie et de satisfaction. Ce récit illustre bien tous ces sentiments. Pourvu que le palpitant continue à palpiter, et que la mémoire reste intacte. A la semaine prochaine.
ReplyDeleteHistoire incroyable, avec tellement de détails. On se croirait dans Lawrence d'Arabie.
ReplyDeleteDe nos jours c'est beaucoup moins hollywoodien. Lors de nos dernières navettes vers Beyrouth, nous avons fait une escale forcée à Francfort : Les naufragés du ciel remplissaient un énorme hôtel en bord d'autoroute. C'est l' usine.
Quelle chance d'avoir connu cette période "artisanale" de l'aviation.
Incroyable. On croirait lire un roman de Saint Exupéry
ReplyDeleteBonne Fête à vous tous, que l'Année 2021 nous apporte Joie et Bonheur
ReplyDeleteBisous à tous de moi et d'Evelyne